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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
26 août 2011

Jaloux de tout...

 

Le jaloux est un homme à la base tout à fait ordinaire mais l’amour a provoqué en lui une rupture d’équilibre. Je décèle les prémices de la jalousie dans  Même si tu pars. La chanson aborde une angoisse naissante de la séparation, angoisse que  le sujet cherche à dissimuler derrière une attention généreuse : Prends bien soin de toi/ Ne t’en fais pas pour moi. L’homme est hanté par une incertitude : Dis-moi si tu vois d’autres garçons/ Que moi et je le sens au bord de l’explosion. Il est absorbé par une soif de certitude et veut exclure le moindre doute. Il est possédé par une sagesse maso-pessimiste et tente de faire surgir le malheur qui n’était pas sûr d’arriver. Il semble avoir les symptômes d’une forme paranoïaque de « la logique du pire » : réussir à penser le pire [1](Penseurs terroristes et logiciens du pire : leur préoccupation commune et paradoxale est de réussir à penser et à affirmer le pire). Il a en lui un petit côté « Anna Karénine » : « Tandis que mon amour devient de plus en plus égoïstement passionné, le sien s’éteint peu à peu ; c’est pourquoi nous ne nous entendons plus. Et il n’y a pas de remède à cette situation. Il m’est tout, je veux qu’il se donne à moi tout entier, mais lui ne cherche qu’à me fuir. Jusqu’au moment de notre liaison nous allions l’un au-devant de l’autre, maintenant c’est en sens inverse que nous marchons. Il m’accuse d’être ridiculement jalouse ; je me suis fait aussi ce reproche, mais bien à tord : la vérité, c’est que mon amour ne se sent plus satisfait… »[2]. Mais surtout dans Même si tu pars, le sujet paraît plus près de l’agression que de la rémission comme le montrent les images de l’eau et du feu : deux éléments qui conduisent à une destruction totale et fatale : Mais quitte à demander pardon/ A brûler ce qui reste de la maison/ A fondre dans l’eau comme un glaçon. Je le devine menaçant comme celui de Tu es mon amour (La Superbe) : Si d’aventure, tu te joues de moi/Change les serrures et prends garde à toi. L’individu passionné est possessif, il oppresse et parvient à faire peur. Mais la névrose éclot dans Jaloux de tout et  Dans ta bouche. Dans cette dernière, la jalousie de l’homme est attisée par la séparation. Il est transporté par des pulsions et semble comme enragé. Sa jalousie le brûle  au-delà de leur relation et persiste dans la désunion. La femme, par la passion qu’elle a engendrée, a dévasté la vie de feu son amant fou devenu le  salopard que tu as terrassé. Ce dernier est atteint d’une dépossession de lui-même : J’ai perdu plus que la raison. Il est devenu un passionné qui fixe son attention sur cet être féminin exclusif. Il s’est coupé des autres : Reclus dans feu notre maison; c'est-à-dire dans leur maison du passé mais peut-être dans celle qu’il veut détruire par les flammes. Il existait sans doute une illusion d’optique liée au sentiment :… je n’ai rien vu venir. Il est comme possédé et face à cette épreuve insupportable, il ne sait plus s'il doit infliger une souffrance à l’autre: Mon amour je voudrais te punir, ou bien l'idolâtrer davantage: Mon amour je voudrais t’agrandir/ ou bien prendre sur lui: Mon amour je pourrais tout subir et puis sa vraie personnalité surgit : je mens comme je respire. Il ne peut pas être ce démon apte à punir ou ce dieu capable de tout pardonner car dehors il ne fait pas « mauve » et il n’y a pas  « d’éléphants roses » (15 septembre).L’homme se voit acquérir le don d’ubiquité pour traquer sa belle. Il veut se doter de pouvoirs bien illusoires et la réalité ne peut que lui apporter de grosses déceptions. Une pointe de dérision se cache dans l’évocation de lieux insolites : Je serai là/ Dans le four de ta pizza reine….et renforce l’idée que l’homme s’est créé une vie complètement en marge du réel, comme un satyre. C’est le cas du voyeur dans Chère inconnue (gatif). J’ignore s’il agit par distraction ou si le voyeurisme est pour lui une activité viscérale mais il est dominé par un seul de ses sens : la vue. Sa timidité l’isole et le pousse à engager une conversation imaginaire avec sa belle. Il enchaîne questions  et  réponses : Chère inconnue/ auriez-vous pris possession de ma vie, de ma vue, en terrain connu, non(…) l’auriez-vous choisie, non(…) le sais-tu ? L’homme prend les caractéristiques du chasseur qui opère dans son terrain privé: l’avenue est l’espace privilégié de la chasse et l’appartement de la femme, le terrier de la proie. Il sait tout sur elle : née de père inconnu ou au fond de la rue : non. Le regard ne conduit pas ici à une jouissance esthétique ; il n’éprouve pas en effet un plaisir à la regarder tel un graveur, peintre ou photographe devant son modèle : j’enchaîne eaux-fortes, crayonnés/ et prises de vue/ de votre anatomie, non. Le plaisir de la perception esthétique passe par le plaisir de la perception elle-même et non par un objet de désir. Il ne correspond ni à un manque, ni à une attente  ainsi le sujet est serein immédiatement et ce n’est pas le cas dans Chère inconnue. Ici, il ne s’agit pas de l’activité intellectuelle d’une personne qui cherche à regarder une « œuvre » harmonieuse. Le traqueur ne s’aventure pas à éduquer son regard. Son dessein est bien dans un autre domaine que l’art. Certes, il a un intérêt mais pas intellectuel, juste empirique. Il découvre que l’observation de cette femme lui procure une jouissance ; il anticipe cette jouissance sensuelle. Son regard est proche du candaulisme mais j’émets une retenue. En effet, dans la pratique du candaulisme, l’homme prend du plaisir en exposant sa compagne à d’autres hommes et même en la voyant faire l’amour avec un ou plusieurs partenaires. Là, le voyeur est pris à son propre piège et je ressens une dose de jalousie à l’encontre de l’autre : petit ami ou client, peu importe. Pour lui,  cet imbécile est un braconnier qui se jette sur sa proie, la nuit tombée. L’autre incarne l’énergie virile qu’il n’a pas. Si j’avais su que vous étiez facile, je serai venu.  Aussi la femme descend de son trône et devient  facile, et tout de noir dévêtue. La couleur noire de la nudité peut symboliser le vice du couple et la notion de nuit ; mais aussi dans tout de noire dévêtue, je vois un clin d’œil aux ingénues ( 3) de Verlaine qui portaient de grands voiles noirs appelés« mantes ». Dans  Jaloux de tout, la jalousie est une projection, celle des amants potentiels de sa « reine » aussi incongrus soient-ils : Jaloux du moindre pépé, du moindre cheval/ Que tu montais bébé, j’avais trop mal. L’homme théâtralise les évènements et apparaît comme un dramaturge hors pair : J’ai vu le mal partout. Il est lui-même son propre bourreau. Il est « l’héautontimorouménos » pour reprendre le titre d’une pièce du poète latin Térence ou d’un poème de Baudelaire. Il craint la séparation plus que tout mais à cause de sa jalousie, il se tient à distance. Il est conscient de ses excès mais il recommence sans cesse : J’aurais dû m’épancher, passer à table/ Mais j’étais dépassé et lamentable. Il a un sentiment de honte car il se rend compte de sa faiblesse. Il refoule ses emportements et les masque par le silence. Toute communication conduit à une impasse ; il répond évasivement à son aimée soucieuse qui lui sollicite un échange. Sa jalousie est le signe qu’il s’est tellement imbriqué en elle qu’il en a perdu son individualité. Il a besoin d’elle pour exister et même plus, il s’est perdu en elle. Il s’oppose à celui qui refuse de s’investir. Je vous dis à bientôt.

 



[1] Clément Rosset, Logique du pire, Puf, 2009, p.10.

[2] Tolstoï, Anna Karénine, Folio classique, p.804.

[3] Dans La chanson des Ingénues, Caprices III, Poèmes Saturniens.

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