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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
25 janvier 2016

La possibilité de l'Envol °°°°°°°° Post Mortem G.Depardieu

téléchargement (15)

 

« (…) du jour où il sut lire il fut Poète, et dès lors il appartint à la race toujours maudite par les puissances de la terre …»

 

Je reste encore aujourd’hui sous le charme de POST MORTEM mais demeure tant affligée à l’idée que Guillaume DEPARDIEU n’écrira jamais plus un autre album tant son écriture est un enchantement ; elle porte les empreintes de la grandeur esthétique du Poète et du regard pénétrant de l’homme. Sa voix est un ravissement. S’il boitait, claudiquait et trébuchait, peut-être, sur la terre ferme, moi, je le vois courir, se précipiter et grimper dans l’écriture, avançant de façon certaine avec ses dix doigts zélés. S’il n’avait plus la maîtrise de ses jambes, il agitait sûrement ses mains telle une paire d’ailes pour ainsi s’extraire, le temps d’un instant, de cet engluement terrestre,  pour s’élever et nous élever par la même occasion vers des hauteurs inaccessibles et sublimes.

Je détache une nouvelle fois les amarres et laisse ainsi le vent gonfler mes voiles ; la conquête d’un nouveau monde m’attend quelque part dans Post mortem…alors, grimpant dans les gréements par la force de ce chant, m’isolant dans ma sphère, je pars…

Je commencerai la visite de l’album par L’estropié. Pour moi, ce texte ne cesse de me rappeler Baudelaire et son ALBATROS, et surtout, sa verve me renvoie à Voltaire et Molière. Bien plus qu’une chanson, L’estropié est une lettre ouverte, un autoportrait physique et psychique sur lequel vient se greffer une présentation morale du collectif. Une énergie, une assurance  des propos donnent le ton de cette argumentation; le texte est simple et efficace. C’est tout l’art de la touche précise et efficace du langage. Malgré cette économie apparente de l’écriture, derrière la rapidité des faits cités, juxtaposés, Guillaume DEPARDIEU dit beaucoup de choses; et sous cette simplicité, il intègre un portrait personnel et une critique de la société.

Le texte débute par la répétition « je suis l’estropié, le mutilé… », formule qui sera par la suite servie en guise de refrain et qui reviendra à la fin du texte, donnant par ses reprises l’impression d’une perpétuelle continuité. Cette  répétition accentue le fait que la situation ne peut évoluer ; la voie est sans issue, aucune échappatoire n’est à espérer ; cette gradation donne même l’impression que la situation s’aggrave. « Estropié » au premier abord ne me paraît pas être un terme trop alarmant mais si l’on cherche sa définition, on trouve : mutilé ; ce terme inquiète davantage, alors si l’on pousse plus loin la recherche, on lit « amputé » et là, tout devient plus grave ; d’autant plus grave, qu’ici, ce sont les noms et non les adjectifs qui sont sciemment utilisés ; et ils sont même accompagnés de l’article défini « l’ ». L’emploi du nom et non de l’adjectif montre que le sujet se résume tout entier à cette mutilation, que toute sa personnalité est dévorée par un membre manquant. Il est réduit à un seul aspect, enfin pas tout à fait car ici, nous rencontrons un être doté de lucidité, de raisonnement et de sincérité ; toutefois, il n’est pas dupe car il s’aperçoit et nous révèle qu’il n’entre plus dans la norme et c’est pour cette raison qu’il évolue désormais sur terre derrière un physique qui s’efface, derrière un psychisme qui subit.

« Mon corps n’a plus la posture du possible » et oui ce corps est enfermé dans une réalité sans ouverture sur le possible, c’est-à-dire sans  pouvoir prendre des apparences qui se cachent sous « l’arrogance sublime de la possibilité de l’envol ». Un homme ne peut s’envoler mais on peut imaginer l’envol d’un être doté d’une fierté, d’une insolence non méprisante mais noble, bref doté d’une présence qui se remarque et qui fait toute sa supériorité. Voici tout l’art du possible qui l’emporte sur le réel. Mais ce corps amputé s’inscrit d’emblée dans l’impossible élévation ; il est condamné à demeurer clouer au sol.

Comment pourrait-il prétendre à une quelconque élévation, puisqu’il est incapable de faire ne serait-ce qu’un moindre saut. Il est exilé sur cette terre horizontale. En cumulant les exemples concrets et abstraits, en se décrivant tantôt en clown, tantôt en pirate, en essayant d’apporter les preuves de son infériorité, il ne fera qu’accroître le fossé entre sa grandeur d’esprit et la petitesse de celui des autres ; très finement, il va renverser la situation et les preuves de son infériorité physique vont servir à abattre les mesquineries des gens qui se terrent sous une bien fausse rigueur morale. On aura de cesse de remarquer le ridicule de leur fondement et de leurs commentaires.

« au pathétique de mon handicap… » il nous invite à prolonger ce voyage intime de sa propre souffrance et je trouve avec beaucoup d’élégance verbale : « images ridicules » et « imaginaire collectif » ; « images et imaginaire » sont tout aussi proches que « ridicules et collectif » peuvent l’être aussi, ici ! Non ?! Et ce n’est pas tout…Ils sont comme déroutés par la présence d’une personne qui ne correspond pas à la « norme » : une tête, un corps, deux bras, deux jambes. D’un seul coup, leurs certitudes sont comme mise à mal et sans réfléchir, ils parlent de Justice divine, de Providence qui maîtriseraient les hommes ; ils se convainquent qu’il a été puni mais ici, ce n’est nullement par conviction mais par peur que les choses arrivent comme ça bêtement et atrocement ; ils sont gouvernés par leur étroitesse d’esprit, leur superficialité et leur lâcheté. Ce sont des êtres médiocres face à un être doté d’une grande humanité, face à un esprit supérieur. Ils n’ont aucune once d’humanité ; leur âme est difforme ! Bref, on est face à des caricatures qui raisonnent à coup de jugements préconçus, de banalités. Ils deviennent par peur, plus que par convictions religieuses, des adeptes du providentialisme. Toute chose qui arrive a un sens ; la punition prend la place du hasard qui fait peur et oui, nul ne veut entendre parler de la possibilité d’un mauvais tirage au sort dans sa propre vie. Le collectif veut voir triompher les apparences. Ils prônent une rigueur, une morale ; ils pensent marcher sur les voies de la bonne morale ; en fait, ils sont sectaires et ont une franchise bien commode ; ils sont bel et bien dépendants du faux-semblant. Ils dissimulent leur bassesse, leur méchanceté, leur trouille sous les prétextes nobles de la bonne moralité. Ils ne déploient aucune compassion, aucune réflexion. Ils sont superstitieux et « chacun préfère en pensée et en acte baisser les yeux » de peur que s’ils observent les choses qu’ils craignent, elles finissent par leur arriver aussi. Ils se convainquent qu'il a été puni pour un Mal non avoué; l'amputation est la marque divine d'une forte réprobation et elle est d'autant plus grande qu'elle ne peut être réversible. Ce texte nous remet en mémoire un passage de la Bible, de l'Evangile de J.C selon St Marc (1, 40-45) qui évoque les conditions des intouchables lépreux mis en quarantaine jusqu'à leur mort car la lèpre était vue comme un châtiment divin. Les gens de la Bible écartaient toutes les menaces susceptibles de les éloigner de Dieu et les maladies en faisaient partie car dit santé, dit Sainteté!

Guillaume Depardieu se sert du langage comme d’un boomerang et retourne les propos contre les hommes qui apparaissent tels des monstres pensants. La reprise des mots de même famille révèle le ridicule de leur déduction. Leur réflexion mystique se transforme en farce : « L’imaginaire collectif/avec très peu d’imagination » : ils se mettent à plusieurs pour sortir des bêtises aussi incongrues. On se retrouve face à une nouvelle satire des dévots du temps moderne : la solidarité des gens du même bord, enclin à un certain mysticisme. Leur croyance passe par la politique de l’autruche afin d’évoluer dans la vie sans ennui ; loin de s’aventurer sur les chemins de l’héroïsme ou de la gloire, ils veulent juste vivre sans craindre d’être dérangés par ce « qui les ramène à leur simple condition d’homme périssable et fragile, capable d’être balayé…une existence, une pauvre existence ». Ils ont adopté l’attitude du poltron et se terrent derrière des notions religieuses surfaites: si Dieu n'existe pas, alors il n'y aurait plus d'incarnation du Mal, du Diable derrière cette figure qui boitille et un sentiment absurde de la vie surgirait; l'homme serait alors impuissant devant la réalisation des évènements et la mort serait inéluctable. Il est ainsi préférable de parler de punition divine et d'enterrer l'amour et la compassion sous les tabous. 

  

 Pour finir, cette chanson est un texte qui relève de l’argumentation ; plaidoyer ou réquisitoire ?  Plaidoyer au final car on est convaincu des qualités du « je » qui nous apparaît tel un héro et derrière ce « je », Guillaume Depardieu parle au nom de toutes les personnes différentes, au nom des intouchables ;  mais réquisitoire dans l’ensemble, car le texte, en mêlant raison et ironie, nous montre qui est véritablement coupable et néfaste : nous tous avec nos peurs et notre petit confort.

Ce texte déclenche une impression d’assister  à une comédie dramatique de caractères et de mœurs qui suscite chez l’auditeur une réflexion ; d'emblée, on ressent un sentiment de complicité, on est ému, on sourit parfois et on se remet en question. Pour ma part, je me demande si parfois je n’essaierais pas moi-même aussi de me convaincre que la terre est plate par crainte d'affronter de trop grands bouleversements !

Tentons de libérer l’entendement de tous les préjugés et de toutes les superstitions ; trop souvent, on devient des estropiés, des amputés du coeur .

A bientôt...

 

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