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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
13 août 2013

Confessions de quelques enfants du siècle- 1ère partie...

 

pochette à l'origine

 

 

Je disais quelque fois à Stéphane Mallarmé :

« L’un vous blâme ; l’autre vous nargue. Vous irritez, vous faites pitié. Le chroniqueur, à vos dépens, amuse aisément l’univers, et vos amis hochent la tête…

« Mais savez-vous, sentez-vous ceci : qu’il est dans chaque ville en France un jeune homme secret qui se ferait hacher pour vos vers et pour vous ?

« Vous êtes son orgueil, son mystère, son vice. Il s’isole de tous dans l’amour sans partage et dans la confidence de votre œuvre, difficile à trouver, à entendre, à défendre… » 

                                                                                                                                                                 Paul Valéry

 

 

En aparté :

Voilà un nouvel été et une nouvelle destination ! Je me souviens de ce premier voyage, il y a trois ans…déjà. Je me souviens de ce projet un peu flou, sans être fou, d’écrire sur les textes de B.Biolay ; je me souviens de m'être jetée à l’eau sans trop savoir nager mais avec la fermeté de croire que, saine et sauve, je toucherais le rivage ; je me souviens de ces deux mois où seule, j’ai entrepris ce périple. J’en retiens une expérience unique, réellement, et particulièrement prenante. Je ne vous cacherai pas que j’ai déployé beaucoup d’efforts durant cette première traversée. Mon objectif atteint, je n’ai pas voulu faire demi-tour ; je n’ai jamais regagné la rive d’où je contemplais le monde de l’écriture, m’imaginant l’atteindre un jour, peut-être, quand il ferait beau… ; alors, j’ai continué à nager. La mer poétique reste mon eau de prédilection. Et même si parfois j’imagine que je pourrais glisser, je sais désormais que je m’en sortirais. Au départ, j’ai claudiqué entre les courants et puis j’ai parfait mes gestes, jour après jour. Aujourd’hui,  je pense avoir réussi à coordonner  inspiration et versification pour évoluer assez harmonieusement en poésie. Oui, je n’ai jamais levé l’encre et je ne cesse de la jeter sur des plages désertes. J’ai encore tant d’atolls à découvrir.

Sans le chant mystérieux d’une fille aux cheveux orange, je ne serais sans doute jamais partie de mes vaines attentes ; je n’aurais jamais concrétisé mon rêve et je n’irais pas, dès maintenant, à la découverte des Soleils de B.Biolay.

Vous connaissez sans doute les Nuits de Musset :

-La Nuit de mai où le poète face à sa muse se tait et se terre dans sa douleur.

-La Nuit de décembre où tandis que le poète range dans un coffret les souvenirs d’un amour rompu, il rencontre un double mystérieux qui le met face à l’expérience de la solitude.

-La Nuit d’août où le poète se jette dans l’ivresse afin de rencontrer de nouveau le bonheur, factice.

-La Nuit d’octobre où le poète évoquant ses souvenirs, se rend compte du mal affligé par son aimée ; sa muse le console et le poète s’aperçoit qu’il est nécessaire de souffrir pour pouvoir renaître car le soleil est là et le sommeil attendra, peut-être ?!

Et bien, moi, je retrouve cette chronologie de l’échec amoureux dans les quatre derniers albums de B.B. Par contre, je n’emploie pas le substantif « nuits » mais bel et bien celui de « soleils » : le Soleil noir, le Soleil impie, le Soleil vert et le Soleil jaune bien qu’encore pâle, à mon humble avis. Bien entendu, je ne déclare nullement que B.B. met en avant qu’une seule et unique histoire sentimentale, je dis juste que ses quatre derniers  albums abordent les différents parcours que chacun peut traverser en temps de crise amoureuse à savoir :

- la douleur et la mélancolie, A l’ origine.

-la colère, Trash yéyé.

-le désir d’oublier en tentant notamment de s’échapper par certains plaisirs de la vie, La Superbe.

-le pas vers l’acceptation et vers une compréhension de l’utilité de la souffrance, Vengeance.

Je trouve que La Superbe sert de maïeutique, vous savez, l’art de faire accoucher… les idées. Vengeance, le septième album devient  le dernier volet d’une saga amoureuse qui avait débuté dans A l’origine, soit sept ans en arrière. Coïncidence ou pas, le chiffre sept plane sur Vengeance. C’est le chiffre correspondant aux notes de musique, à la Création, aux couleurs de l’arc-en-ciel…Quant à moi, je pars à la conquête du ciel et du Soleil noir de l’album A l’ origine.

 

 

Le Soleil noir :

 

« Je suis le ténébreux, le Veuf, - l'Inconsolé, /Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:/Ma seule Etoile est morte,-et mon luth constellé/Porte le soleil noir de la Mélancolie. »

Les Chimères : El Desdichado-Nerval

 


« Viens on s’envole, vas-y on tombe » dans les Tartares.

Le Soleil noir a pris d’assaut le ciel sanguinolent de l’album « A l’ origine » ; si l’on devait peindre l’horizon des textes ou l’univers mental des identités, il nous faudrait reproduire la pluie, des flammes, le tout confiné dans un cachot. Et oui, nous sommes encore si loin de Lyon presqu’île. Pour détailler cette vision apocalyptique, je commencerai par une vue d’ensemble et ensuite j’aborderai l’univers intime des personnages.

D’emblée se détache, d’une manière générale, une inaptitude à vivre dans le temps ; le passé a laissé portes ouvertes sur les pires dégradations. Je ne sais si l’on pouvait parler d’Age d’or « A l’ origine/On était de gros menteurs/Mais on avait nul mentor » (Tant le ciel était sombre) mais désormais, le présent incarne bel et bien l’Age de bronze ; quand au futur : « Les mêmes en pires/Comment ça va finir »…

Dans le texte A l’ origine, je ne perçois pas de félicité originelle mais une période ni bonne, ni mauvaise qui serait toutefois susceptible d’avoir conduit au pire de l’après : le massacre de Colombine en 1999, les attentats du 11 septembre 2001. Aucun regret d’une époque révolue  n’est à déplorer; elle ne paraît pas très éloignée cette période avec son semblant d’harmonie. Elle couvre les années 80 et 90. Les choses, ensuite, n’ont pu que se dégrader : violence, argent, religion, armes. Bref, le progrès s’est heurté à un mythe plus passéiste. Je ne sais pas / Si nous étions les mêmes/ Les mêmes en pire/ Comment ça va finir. Ce que je soulignerais avant tout, c’est  cette ironie dans le traitement de ce bon vieux mythe : A l’ origine les poules étaient des nuggets(…)/ Les speakerines/ Faisaient encore des massages… Ni cliché édénique, ni narration d’un passé idyllique (La Pénombres des Pays Bas) ou d’un futur prometteur (Les cerfs-volants), rien, non rien de tout cela et cette mémoire à l’âge d’or est plutôt caustique et nous met bel et bien en face d’un âge de bronze. La version des concerts nous inspire une vision plus apocalyptique que celle suggérée dans l’album et désormais, l’impression qu’elle me donne est celle de l’  « eschatologie cosmique »: tout ce qui pourrait conduire à la fin des temps, au jugement dernier. Les prophéties traditionnelles hindoues annoncent que le monde des mortels glissera dans le chaos et la ruine. La violence, la perversité, la convoitise, le désir de possession surgiront. Cette chanson fait écho en un sens à  la montée de l’eschatologie humaine (la fin des sociétés humaines), voire de l’eschatologie cosmique (la fin du monde) et au fil des textes, on arrive en quelque sorte à une eschatologie personnelle (la mélancolie, l’impression d’être mort intérieurement et le désir de mettre fin à ses jours). A l’origine est le théâtre du mal de vivre où le mauvais semble triompher ; les vils instincts remportent toujours la première place. Alors il ne resterait qu’une seule raison de vivre : l’amour or celui vient de s’écrouler. Les sujets ne croient déjà « plus en rien du tout » ; ils n’ont donc plus d’idéaux. Sur le sentiment d’une défaillance générale, vient fermenter un malaise plus personnel.

Le sujet devient une victime encore plus fragile lorsque qu’il est loin des siens. Lui et ses congénères-« je », « on » (Me voilà bien)-se transforment en victimes et sont tenus de demeurer passifs : « On est sobre à la tâche mais on s’exécute », « tout nous agresse », « Nous tenir en laisse », « on régresse ». Les voici devenus des esclaves modernes, les faire-valoir de ceux qui se terrent derrière le pronom « ils ». D’un côté, il y a le pronom personnel indéfini « on » qui représente le locuteur et un certain nombre de personnes, bref un « nous » : une cohorte d’exclu, et puis de l’autre, il y a le pronom personnel « ils » ; un fossé s’est installé entre les deux groupes  et notamment un écart social « j’ai pas d’argent sur moi », ou « vu ce que ça coûte, je n’ai aucun bagage dans la soute ; et oui, pour schématiser, les plus nobles parcours, les plus hauts diplômes, les plus grandes carrières sont d’avantage réservés à une élite, et pas toujours la plus méritante. Pour le sujet, il y a les autres et ses pairs : ceux du même rang, que ce soit en dignité « Mais toutes ces caresses/Pour mieux nous faire les poches/Nous tenir en laisse » (L’appât) ou en situation sociale « Ils bronzent/On brûle ». Un sentiment d’inadaptation se développe : « ça nous choque », « ça nous froisse » mais l’étau se resserre quand une fois parmi les siens, l’isolement réapparaît : « Et quand je me suis aperçu/Que ce n’était pas ma vraie maison/J’ai su passer inaperçu » (L’histoire d’un garçon), « Mes semblables et mes pairs s’envoient en l’air pour noyer le chagrin »(Me voilà bien), or lui, il donne plutôt l’impression de rester clouer au sol car peut-être n’a-t-il pas réussi à vivre pleinement son « âge d’or » à la Dali et Buñuel : une communion avec l’aimée malgré les disparités sociales et familiales. L’expression « me voilà bien » sonne telle une antiphrase. Peut-être que la parabole détournée « l’œil dans la poutre » renvoie au fait qu’il aurait un jour fermé les yeux sur ses convictions pour se ranger du côté du clan « rival », d’où la transformation du proverbe « un bon avis vaut bien un œil dans la main » en « il fond dans la main » ; et oui parfois, il faut bien avouer qu’il est tentant de calfeutrer sa conscience dans l’hypocrisie ! Peut-être s’est-il trouvé à un moment donné dépourvu de conseil pour agir efficacement. Mais la conscience ressurgit toujours au galop car « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn » ; quand on arrête de faire l’autruche, la réflexion arrive. Quoiqu’il en soit, que l’ « on dévie des routes » ou que « la vie nous déroute », que l’on soit actifs ou passifs, on subit notre sort. Adieu libre-arbitre ! Comme chez Verlaine, la mélancolie s’accompagne de la fatalité et ce thème est omniprésent dans les albums.

Le sujet est bel et bien conscient de sa déchéance et la pluie participe à sa souffrance morale (L’appât, Mes peines de cœur); elle est comme personnifiée ; ils sont tous les deux en symbiose « Il pleut sur moi », « la pluie qui saigne colore mes peines de cœur », « la pluie égraine encore/la somme de toutes mes peurs ». Il est condamné à errer sur terre, dans cette rue interminable et dangereuse « la rue n’en finit pas » ; on assiste à la chute d’une identité singulière qui déjà ressent une attirance pour les hauteurs qui l’isoleraient : « Je me suis mis de côté/Je ne suis qu’un funambule », « les toits vus d’ici » ; bref, il se situe plus haut que les autres visant « l’entresol » pour s’échapper de l’entrepôt. C’est en véritable paria qu’il est jeté dans la rue. Et c’est en tombant de ces hauteurs qu’il a entraîné sans doute, avec lui, la pluie. L’album prend les couleurs de la saison des pluies mais ce n’est plus la monotonie, c’est un degré de moins dans l’échelle spirituelle. Et oui tout ceci nous évoque Verlaine « Il pleure dans mon cœur » où la beauté du texte tend, entre autre, à créer un rapprochement entre la pluie et les pleurs. « La pluie qui saigne colore/Mes peines de cœur/La pluie égraine encore/La somme de toutes mes peurs » (Mes peines de cœur): n’est-ce pas une très belle métaphore pour évoquer la mélancolie ; le cœur du sujet déborde de langueurs. La souffrance se décline au pluriel et la quantité de peurs est égale au nombre de gouttes tombées. L’eau n’est plus incolore comme dans L’appât pour marquer le vide d’une personnalité qui n’a plus d’envie ; ici l’eau est rouge-sang. La pluie se veut être l’écho des pleurs et de la blessure profonde du sujet ; pluie et pleurs tombent à l’unisson.

Le sujet se sent rejeté de la société et même de l’univers : « Le monde entier m’a fait cocu » et ce malaise est sans doute apparu ou amplifié par l’échec amoureux. L’amour l’a isolé et retranché du commun des mortels. Il a été ensuite désigné par l’infortune comme le bouc émissaire, celui qui va recevoir le châtiment suprême et aucun libre-arbitre ne saura le délivrer de cette fatalité : « Il faut bien que quelqu’un y passe », « ce soir je suis la proie ». Il semble payer pour avoir tenté d’échapper à une destinée : « On dévie les routes/On aboie sur les chiens » mais le sort nous rattrape. Il semblerait que cette relation était perdue d’avance « Si on se tient la main/Autant se foutre/Dans le pire des pétrins ». Cette relation l’a détourné de sa vraie nature. Bref, le masque est tombé et les yeux ne voient plus derrière le voile faussé de la passion ; l’amour s’est transformé en tragédie mais par quels moyens ?

Dans Même si tu pars, on peut supposer que le sujet a saboté toute la relation en la pulvérisant de jalousie excessive derrière une bienveillance complètement truquée et quasi-malsaine : « Dis-moi si tu vois d’autres garçons que moi », « Même, même si tu pars/Prends bien soin de toi/Ne t’en fais pas pour moi ». Je ne pense pas que sa démarche soit celle que l’on retrouve dans la Chanson du geôlier de Prévert, par exemple. Là oui, l’homme amoureux veut avant tout la liberté de la femme aimée et arrive à lui dire : « même de m’oublier…de s’en aller…Et encore de m’aimer/Ou d’en aimer un autre… ». Mais dans Même si tu pars, on est bien loin d’Aime mon amour, ou de Profite « Oublie-moi avant qu’il ne soit trop tard ou ne m’oublie pas…Mon amour fais-moi la courte/On en a plus rien à foutre ». Et c’est bien  l’obsession et la jalousie (justifiée ou non) qui l’emportent sur l’amour vrai avec ses inquiétudes. « Dis-moi » ne renvoie sûrement pas à un désir d’accueillir la réponse de l’aimée dans un esprit d’ouverture. L’individu passionné-possessif oppresse et parvient à faire peur ; il réapparaîtra plus tard. Il est ici absorbé par une soif de certitude et veut exclure le moindre doute. Il est possédé par une sagesse maso-pessimiste et tente de faire surgir le malheur qui n’était pas sûr d’arriver. Il semble avoir les symptômes d’une forme paranoïaque de « la logique du pire » : réussir à penser le pire (Penseurs terroristes et logiciens du pire : leur préoccupation commune et paradoxale est de réussir à penser et à affirmer le pire -Clément Rosset, Logique du pire, Puf, 2009, p.10). Il a en lui un petit côté « Anna Karénine » : « Tandis que mon amour devient de plus en plus égoïstement passionné, le sien s’éteint peu à peu ; c’est pourquoi nous ne nous entendons plus. Et il n’y a pas de remède à cette situation. Il m’est tout, je veux qu’il se donne à moi tout entier, mais lui ne cherche qu’à me fuir. Jusqu’au moment de notre liaison nous allions l’un au-devant de l’autre, maintenant c’est en sens inverse que nous marchons. Il m’accuse d’être ridiculement jalouse ; je me suis fait aussi ce reproche, mais bien à tord : la vérité, c’est que mon amour ne se sent plus satisfait… ». Mais surtout dans Même si tu pars, le sujet paraît plus près de l’agression que de la rémission comme le montrent les images de l’eau et du feu : deux éléments qui conduisent à une destruction totale et fatale : Mais quitte à demander pardon/ A brûler ce qui reste de la maison/ A fondre dans l’eau comme un glaçon.

L’autre motif de rupture est l’infidélité, sous-entendue dans l’image de la « robe froissée » qui se raccourcira en « jupe fendue » (Douloureux dedans), et plus explicitement, dans les expressions « Mon amour m’a baisé », « Mon amour a biaisé ». Même s’il relativise « Ce fut un plaisir, plaisir d’offrir », la souffrance est bien là ; il somatise et son mal-être se traduit physiquement par « un mal au ventre ». Son intériorité est mise à mal. Déjà est amorcé le thème du « ver de terre amoureux d’une étoile » : « j’étais pas de la trempe/Je faisais pas le poids » ; la relation semblait encore une fois belle et bien perdue d’avance, « Oui mais coûte que coûte/Si on se tient la main/Autant se foutre dans le pire des pétrins » (Me voilà bien). L’amoureux est fragile et n’est pas sûr de lui ; une dépression s’installe « Mon passé me tourmente/De futur j’en veux pas ». Maintenant que la souffrance est bien quantifiée, le sujet doit se laisser glisser dans le gouffre et atteindre les tréfonds pour pouvoir espérer remonter et débuter un parcours initiatique salvateur. Mais avant de chuter, j’aimerais aborder une autre relation, celle avec la femme maléfique ; je veux bien entendu parler de Mademoiselle qui se terre Dans mon dos.

Déjà l’appellation peut être porteuse d’un mauvais « présage » si l’on considère Mademoiselle comme le féminin du latin « dominus », soit le « Seigneur ». Mademoiselle peut aussi renvoyer à une exigence, à une sorte de titre pour imposer une volonté d’être flattée, pour paraître plus jeune, plus séduisante, etc…La relation entre les deux se mute d’emblée en un violent corps-à-corps dont les blessures marqueront à jamais l’âme et la chair tendre du sujet masculin. La femme apparaît tel un bourreau, un spécimen sauvage : « Mademoiselle crache, Mademoiselle frise/Mademoiselle ne lâche jamais sa prise », bref, pour caricaturer, elle possède les caractéristiques du lycan qui sous sa forme de guerre devient un véritable loup garou. Alors un combat peut commencer : lycan contre vampire, Mademoiselle contre un descendant de Vlad Tepes. A votre avis qui est le plus fort dans le monde des tueurs sanguinaires ? Je vous le donne en mille : le loup-garou et c’est la raison pour laquelle les vampires les ont asservis (pour les contrôler et pour monter la garde, le jour) et c’est pourquoi les esclaves se rebellent. Les lycans sont de redoutables combattants au corps-à-corps ; ils griffent et mettent en pièces leurs proies ; nul ne peut leur réchapper. Ils prennent des formes humaines et sous leur panoplie de guerrier, ils deviennent des loups-garous incontrôlables ravageant amis comme ennemis. Ici cette Mademoiselle est possédée par une frénésie de destruction et en images, souhaite détruire son rival : par la rumeur en l’exposant en quelque sorte à la lumière du jour, par le feu (qui était dit-on une manière radicale d’exterminer les vampires) « tu m’arroses un peu d’essence », par balle « tes rafales ne sont pas à blanc » (qui rappelle la balle d’argent).

Bref, femme aimée ou méprisée, elle est loin du sujet ; celle de Même si tu pars annonce la figure des femmes persécutée de Dans ta bouche, Jaloux de tout, Tu es mon amour, celle de Adieu triste amour pourrait rejouer dans 15août ; elle semble avoir du mal à couper brutalement la relation : « de tendresse, je n’en attendais pas tant/La détresse te va comme un gant…Pense à moi un peu moins chaque jour ». Et c’est en se retranchant définitivement de la relation, en refusant tout soutient, toute tentative de se revoir comme dans 15 septembre, que l’identité masculine s’engage dans la traversée solitaire nécessaire pour l’épreuve du sevrage. L’amour est un échec et la seule expérience amoureuse que l’on retient est la rupture. Dans cet album, on assiste à un rite initiatique pour passer de l’enfance : « mais j’ai mal au ventre », « je me sens mal, j’ai des complexes/Je suis ovale, je suis convexe » à un autre statut. La première étape de l’initiation doit passer par la souffrance et la solitude. Sans cesse, les sujets semblent être aspirer par les Ténèbres et beaucoup de termes dans l’album font penser à un retour au monde des morts comme si le sujet devait mourir pour renaître de ses cendres ; « Sur la vitre la pluie fait des croix », « Je te laisse pour un long moment/Rien dans ce monde ne me retient », « Ce soir c’est au soleil que je veux m’étendre…Mais rien de moi ne restera ». Par le geste brutal du suicide, le sujet veut tuer la personne absente qui est certes partie mais qu’il a conservée en lui. Puis arrive la phase de décomposition avec l’arrivée abondante du feu et de l’eau, du souffre et de la merde : « fuis cette odeur du souffre » (dans Cours, même si le sujet ne veut pas faire table rase de son amour d’antan, la renaissance de la relation doit passer par des étapes difficiles-évite les autos/Qui te giflent le dos), « Ca sent la merde » (Tant le ciel…).  Ensuite, il va se sentir comme mutilé et cette amputation est nécessaire pour l’arracher à la dépendance féminine : « mon cœur est brisé » (allégorie de l’amour déçu), « mon cœur est percé » (ironie du sort, il est percé certes mais non par la flèche enchanteresse de Cupidon), « dans mon dos qui n’a plus d’ailes », « dans mon dos souillé d’acide », « comme un aveugle qui ne veut plus rien entendre », « même si ça me ronge ». Après une introspection : «  J’ai pris de mauvaises habitudes(…), j’ai eu de mauvaises attitudes/ A pas prendre(…) J’ai oublié à force de tout apprendre (…) J’ai mal… », c’est en miettes qu’il s’engouffre dans la partie la plus sombre de son âme. A travers sa vision du monde de Tant le ciel était sombre, il va révéler des parties de lui-même. Pour la chute, je reprendrai mon chapitre intitulé : Après le spleen de Baudelaire, la mélancolie de Biolay.

Dans le texte, on évolue dans un enfer mental qui conduit à une lente mort spirituelle. D’emblée, on plonge dans un chaos, une sorte de « big bang ». Le ciel, siège symbolique du mental, est affecté de termes interdisant toute échappée : tant le ciel était sombre/J’ai cru qu’il pleuvait des bombes. Immédiatement, l’obscurité du ciel crée une ambiance particulière et une inquiétude s’élance brusquement. Puis il renchérit: Tant le ciel était bas, Tant le ciel est un gouffre. Le fantastique se met en place et très vite l’environnement échappe au sujet. Les thèmes de la destruction, de la claustration se développent. Les termes suggèrent l’idée d’un écrasement physique et d’une oppression mentale : Tant le ciel, tant le ciel nous étouffeTant le ciel nous décime/Tant le ciel nous abîmeTant le ciel nous tend l’arme du crime. Les énumérations et les répétitions grandissent le spectacle et accroissent la crise ; les phonèmes « on, an, ou » accentuent l’idée d’assujettissement. Le sujet n’a pas de moyens d’action, il est comme un otage diminué de ses capacités physiques : « Je ne voyais plus », « les nerfs qui lâchent », « j’ai raté ». Son jugement est faussé : « J’ai cru ». Il est comme impuissant face à cette dégradation. Le monde extérieur semble prendre possession de l’univers mental qui est assiégé par des hallucinations multiples : Ils n’ont pas pris La Joconde/ Mais le Cri/Je l’entends dans le coffre/ Qui gronde, qui gémit. Le réel se mêle au fantastique. Le réel, c’est le fait divers évoqué : le vol du tableau de Munch le 22 août 2004 au musée Munich d’Oslo. Et c’est ainsi que l’on se projette un peu plus dans la vie du sujet. Est-il fou ? En tout cas, on assiste au naufrage d’une raison. Les images abondantes et suggestives transforment complètement le monde ; elles abattent une fermeté pour exprimer la douleur et la violence. L’espoir est vaincu avec les colombes en flamme. La folie ne peut que conduire le sujet aliéné sur le chemin morbide du suicide : Tant le ciel nous tend l’arme du crime/C’est le rouge qui tâche/Tu as bu le sang des lâches/Un dernier vœu/Et tu quittes le plancher des vaches/Vieux !/C’est mieux…/C’est beau, c’est beaucoup mieux. Mais la mort ne va pas mettre fin à la tragédie psychologique de l’homme car le maléfice continue : Tant le ciel était sombre… ; le texte est sans chute. Comme le drame humain ? Pas tout à fait car une lueur d’espoir pointe sa flamme : Parle-moi/ Regarde-moi/ Lève-toi/ Il y aura/ D’autres départs/ D’autres regards/ Un peu d’espoir et paradoxalement, elle luirait dans le paroxysme de la nuit : la nuit la plus noire

Voilà, c’est bien sur une note prometteuse de nouveau départ que je vous quitte pour aller étudier la coloration du monde et des Mânes de Trash Yéyé.

A bientôt…

P.S: concernant mon point de vue sur la part autobiographique des textes (on sait qu'il a composé par exemple Ma chair est tendre suite à  Ma chère est tendre, écrite par Keren Ann, chantée par H.Salvadore ), vous pouvez lire le chapitre "V comme Vérisme..."

 

 

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