Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
15 août 2012

Rose Kennedy (3ème partie et fin)

77997265_p[1]

 

Rose Kennedy (texte éponyme):

Rose est seule face à son destin. Le refrain comme dans La Palmeraie est en rupture avec les couplets ; ils sont clamés par une autre voix que celle de Rose. Ils jouent la fonction de chœur ; ils représentent une pensée collective, et sert un commentaire (ou une conclusion dans la Palmeraie) ; bref, ici le refrain se concentre sur Rose et renforce le caractère élégiaque du texte. « Les uns et les autres ont fui …Les nuits sont longues pour Rose Kennedy ». Rose semble traverser la longue épreuve de la « nuit de la foi »,  à savoir des questionnements internes en matière de foi : « Où sont-ils passés ? ». Même si elle considère la mort comme une entrée dans la plénitude d’une vie nouvelle auprès de Dieu, la solitude et les questionnements subsistent. Puis la confession s’installe dans un climat chargé de mystère : « le soleil, les embruns et la nuit » sont convoqués ; « l’horizon…est sans fin » revêt un caractère exceptionnel et signifie que les autres jours, l’horizon pour Rose trouve une fin c’est-à-dire un point de jonction entre l’ici-bas et l’au-delà. Cet aspect illimité invite Rose à s’ouvrir aux profondeurs de son intimité et l’introspection peut commencer : « J’ai vu ma vie défiler ». (Dans Sous le soleil du mois d’août, l’existence est représentée sous l’image d’un bateau ivre dans la tempête. L’ivresse, au sens figuré indique, l’exaltation, le trouble voire l’égarement ; la tempête est tout ce qui voile la transparence originelle : « l’ombre du début ». Le bateau dans la tempête est un symbole souvent repris par les Romantiques et notamment par G.D.Friedrich pour incarner l’âme chrétienne traversant l’horizon métaphysique. « Libre/De finir le livre/Où il s’arrête » : cette liberté est toute relative si l’on en croit Lamartine : « le livre de la vie est le livre suprême qu’on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix… ». S’agit-il de la liberté d’indifférence mais pris au sens le plus positif : faculté à l’homme de se déterminer par lui-même face aux difficultés, aux épreuves : « plage, page », face à l’approche de la mort : « la pente » ?)

C’est incroyable de constater autant de richesses et autant de charges symboliques dans autant de textes. Le second couplet de Rose Kennedy aborde son mariage et ses neuf enfants. Puis le troisième couplet relate la mort tragique des deux ainés et fait ressentir une résignation face aux drames qui feront le sujet de deux autres textes : La dernière heure du dernier jour et Soixante-douze trombones avant la parade.

La dernière heure du dernier jour est digne d’une épopée. Le héro central est le frère ainé de J.F.K. qui doit accomplir un véritable exploit pour servir le destin de sa nation lors d’une mission expérimental, à bord de son Libérator bourré d’explosifs ; moins d’une heure après son décollage, il explosera avant d’évacuer, son avion, comme prévu. L’exercice était périlleux et au moment où il devait s’éjecter, le pilote et le copilote n’étaient déjà plus aux commandes de la bombe volante. Son père l’avait programmé pour devenir président des Etats-Unis. (Le drame changera le destin de J.F.K qui a dû vivre sa vie et celle de son frère). Le personnage se trouve d’emblée grandi. Au moment de mourir, au lieu de ressentir de la peur, son cœur se tourne vers ses proches. La réalité historique s’efface devant le merveilleux et on n’y croit. L’enthousiasme l’emporte sur la raison. L’atmosphère est chargée de mystère et nous éloigne de l’horreur réel. Le calme apparent « cervidés lézardent » est toutefois rendu inquiétant par l’expression : « le soleil se farde ». La fin tragique est grandie par l’image de l’horizon « qui glisse dans les hélices ». Le second couplet nous plonge un peu plus dans le merveilleux car le monologue se poursuit dans la mort ; la religion est partout : l’obscurité puis la lumière et le retour à la poussière. Toutefois, si l’on met de côté la foi religieuse, on pourrait détacher la brutalité de l’accident et le caractère violent de la mort : cette mort qui lui arrache ses souvenirs « je n’ai même pas vu ma vie », cette mort qui entraîne une douleur physique « j’ai senti les récifs ». « J’ai vu la lumière » se justifierait par le feu de l’explosion ; « je retourne à la poussière », en dehors de sa portée religieuse, pourrait renvoyer à la destruction brutale par les flammes sans possibilité de retrouver le corps devenu des cendres parmi la poussière ; « le glas » serait ce que le héro percevrait en dernier ; « Là-bas à Boston » supposerait qu’il resterait seul loin des siens. Ces visions, sans justification religieuse, s’échapperaient d’une mise en scène sanglante et cruelle. Mais revenons à l’aspect mystique et épique. Comme le héro de l’épopée, il fait ce que le cœur et non la raison lui dicte et il nous plonge dans l’atmosphère pieuse de l’oraison que lui-même prononcerait pour sa propre mort. Il demeure grandi jusque dans le refrain. Le courage est d’abord appelé : « Haut les cœurs » puis c’est au tour de la force puisée dans la religion : « Oh Jésus que ma joie demeure » (serait-ce un hommage à la cantate religieuse de Bach ? J’ai remarqué que beaucoup de vers reprennent des titres de film ou de chanson: un été en pente douce, que ma joie demeure, la mélodie du bonheur, demande à la poussière, péril en la demeure, ma saison préférée, la ballade du mois de…). Puis le défunt convoque le fils de Dieu, Le Père et par analogie son père puis l’Esprit-Saint. La trilogie sacrée est rappelée en invoquant Marie à la Trinité (un pater et trois Ave) ; l’Angélus ou les trois Ave est la promesse d’une grâce et celle du baptême sous la protection de la Mère de l’église. Il s’est préparé à cette seconde vie et la peur n’aura aucune prise sur lui au moment de mourir : «C’est ma dernière chance/De tirer ma révérence/Et sans même baisser les yeux/Dans mon Liberator en feu ». Les mots vont puiser leur richesse de leur polysémie même: « chance »  peut retrouver sa définition originelle : celle de l’ancien français, chéance qui signifie « façon de tomber » ; « chance » peut aussi désigner la fortune et ainsi supposer le dernier coup du destin, la dernière volonté de Dieu. « Révérence » nous renvoie dans ce contexte aussi bien à la notion de vénération qu’au geste d’inflexion ; mais face à sa bravoure, sa foi et son humilité, on serait tenté de lui accordé le titre d’honneur (révérence) de certains religieux. Enfin, la litote « la dernière heure du dernier jour » nous renvoie à l’instant crucial entre 17H52, heure de décollage et 18H20, heure de l’explosion. L’euphémisme atténue le caractère périlleux du projet et épargne notre sensibilité. Le texte s’achève sur la grandeur morale du héro ; « à la bonne heure » : malgré tout le danger que le projet suppose, il le considère comme utile et conforme au devoir à accomplir ; puis « à nos amours/Faites qu’ils durent qu’ils durent toujours » : son dernier souhait se tourne vers les autres et son désir altruiste d’accomplir le bien (la pronominalisation au masculin pluriel d’« amours» sert peut-être à lui enlever tout aspect charnel et passionnel du féminin-pluriel ?). La répétition de « durer » amplifie son vœu et renforce sa bienveillance. Finalement, on adhère juste sans se poser de question, on s’incline devant la noblesse du héros un peu comme si l’on était le spectateur d’une pièce et l’auditeur d’un troublant monologue. Ce sera encore le cas dans 72 heures avant la parade où le personnage n’est autre que J.F.K. et l’on va de ce pas voir comment B.Biolay a su décrire une personnalité complètement différente devant une situation similaire. Il a su par la structure du texte, par le choix des mots nous amener à percevoir une nouvelle identité.

Son écriture est travaillée dans les moindres détails.

 Contrairement à La dernière heure…, ce texte est d’une extrême concision et le refrain ne reprend que le titre. Le personnage exposé, quand à lui, se farde de certains traits du héro du drame romantique. En effet, il devrait posséder toutes les caractéristiques d’un surhomme dû à ses fonctions de Président conférant d’office des aptitudes complètes : pensée et action, mais l’absence de verbes conjugués dans le texte prouve qu’il n’est à l’origine d’aucune action ; les infinitifs « tendre », « se douter de rien », « laisser les autres faire » font de lui un personnage passif. C’est à la fois un héros et un antihéros ; c’est un homme puissant doté de faiblesses. Il est président mais aussi très proche du peuple : « tendre les mains », par contre, il manque de philanthropie à l’égard de ses proches et l’attention portée à son épouse se résume à « sois belle et souris » ; le dernier regard pour son « faire-valoir »- si regard il a porté sur elle -s’est arrêté sur l’image que le monde entier, quant à lui, a bien vu : le tailleur Chanel rose (éclaboussé de sang qu’elle gardera devant les caméras). Enfin, la religion ne semble pas avoir de prises sur lui ; (d’après le patriarche de la famille, la religion est affaires de femmes ; les hommes ont le devoir de s’en écarter pour arriver à leurs fins). Aussi, on ne parle plus de destin, de « bonne heure » choisie par Dieu mais de hasard loin de toute expérience spirituelle subjective. L’itinéraire a été modifié soixante-douze heures avant la parade ; le refrain semble sous-entendre que le coup de dé fut jeté à ce moment-là: « un virage à droite et l’histoire dérape ». La mort déjà pressentie dans « à tombeau ouvert » est abordée différemment et se résume juste à « et j’ai quitté la terre ». Le texte s’arrête là ; le vide semble l’avoir emporté. Le personnage n’évoque pas les coups de feu comme s’il n’avait pas su pourquoi il avait succombé ; la concision du texte semble saisir la rapidité des faits.

 

Ce que l’on pourrait retenir de l’album, ce serait une écriture sans fioriture, une structure équilibrée dans un ensemble apparemment épuré mais d’une grande richesse en profondeur. En véritable chef d’orchestre, B.Biolay a su coordonner la métrique, les rimes, la syntaxe et le lexique ; il a su jouer avec l’homophonie et la polysémie. Il a su enfin nous sensibiliser à différents registres. On va-et-vient entre la monotonie léthargique et la contemplation mystique, entre le lyrisme et l’épopée…Musique, couplets, refrains glissent de façon monocorde. On s’est retrouvé  le temps d’un instant dans une ambiance des années trente, dans celle d’une Amérique puritaine qui changera nettement de coloration dans Négatif. Déjà, Los Angeles semblait nous mettre en garde : « Prends un vallium/De la coke et trois lithium/C’est la routine… ».

Une autre fois je vous parlerai des sérial killers de Négatif.

A bientôt…

Publicité
Publicité
Commentaires
Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
  • Blog: A la découverte de l'univers poétique de Benjamin BIOLAY. Explications au gré des imaginations, envolées lyriques sur les grands thèmes, humble hommage à la richesse de ses écrits et autres pérégrinations fantaisistes...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
Archives
Visiteurs
Depuis la création 9 705
Publicité