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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
7 août 2012

Rose Kennedy (1ère partie)

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                                                  Nous voici à trois mois de la sortie du nouvel album de B.Biolay. En attendant, je ne cesse de me  replonger dans les précédents, de saisir leur troublante atmosphère et de m'inprégner de leur singularité. Ils sont tous différents et pourtant indissociables; ils sont en accord avec l'auteur qui est dans une perpétuelle quête esthétique. Je viens de me rendre compte à quel point j'ai négligé Rose Kennedy lors de mes précédentes "intuitions raisonnées"; je n'ai pas su partager la fluidité derrière la rigueur de ce premier album au doux parfum de mysticisme. Je m'en vais de ces tapotements de clavier corriger cette injustice! Inutile de vous redire que mes notes ne sont que les fruits de ma fantaisie mise au service d'une recherche personnelle. N'y voyez aucune prétencieuse vérité oecuménique. Prêts pour ce nouveau départ? Direction La Maison Blanche et l'Amérique puritaine...

                                                                          

                    

                                                                           Rose Kennedy

 

        Ce premier album, comme l’indique son titre, évoque la grande famille Kennedy ; Rose incarne l’emblème suprême et l’autorité de ce clan. Ces membres ont le désagrément d’appartenir davantage à une tragédie qu’à une dynastie. Ils appartiennent au pouvoir, ils sont illustres mais sont voués au malheur, car ils semblent aux prises des griffes acérées d’une volonté supérieure. La mort précipitée est le sort assigné aux hommes. C’est sans doute la raison pour laquelle l’album prend souvent des caractéristiques d’une pièce de théâtre lorsque surtout sont rapportés les monologues de ces « héros ». D'ailleurs, cette famille où s’entremêlent les passions amoureuses et tumultueuses, où l’univers baigne dans la cruauté des drames, est, ma foi, digne d’une tragédie. Un certain nombre de chansons se rapportent explicitement à Rose et à ses deux fils aînés. Un texte, de mon point de vue, semble avoir du mal toutefois à se positionner et son caractère particulièrement complexe me donnerait presque envie de le rattacher à l’album A l’ origine ; il s’agit de Sous le soleil du mois d’août. Précédemment, je me suis focalisée sur l’aspect symbolique de l’ombre qui m’a conduite à renoncer, fort naïvement, à l’expression suivante « vivre dans l’ombre de quelqu’un », c’est-à-dire vivre dans l’entourage et la dépendance de quelqu’un. Si l’on s’arrête à cette définition, alors on découvre ici trois identités dont la prédominante brillerait sous le soleil du mois d’août ; mais pourquoi ce mois-ci et pourquoi ce titre? On sait que Rose est une fervente catholique et août est le mois du cœur immaculé de Marie, lui-même uni au Sacré-Cœur du Christ, qui, ici, serait symbolisé alors par« le soleil ». Par extension, je ferais bien ainsi sortir de l’ombre : Jésus, Rose : « une ombre » et le prêtre qui prêche la bonne parole : « l’ombre qui vit dans votre ombre m’a tellement parlé de vous ». La chanson  serait ainsi à classer du côté des confessions de Rose et de son affiliation religieuse. J’ajouterai que le respect pour sa piété est nettement rendu dans l’album, notamment dans la manière sereine d’évoquer la mort. Mais je reviendrai ultérieurement sur ces points.

Ces textes que je qualifierais de « puritains » en côtoient d’autres qui seraient, quant à eux, davantage « païens ». Faut-il considérer alors la famille Kennedy, comme une allégorie de la tragédie humaine ? Tragédie qui est la trame des albums d’où éclatent sans cesse les thèmes du temps qui passe, de l’ennui, des désillusions, des déceptions amoureuses, de la jalousie… Outre Dallas, le fléau a lieu « quelque part sur terre » car partout on croise son chemin ; l’homme est en danger du fait de sa naissance dorée ou pas; naître c’est déjà mourir, « c’est toujours le même film qui passe », « chacun se bâtit son futur/et va de ratés en ratures ». L’existence est une mouvance contrôlée, que l’on se déplace sur l’échiquier de la Maison Blanche ou d’un pavillon. Les lieux renferment un aspect inquiétant. D’emblée, l’album nous plonge dans un univers fort délimité, tel le lieu de prédilection pour les tragédies, lieu qui pousse à vouloir fuir : « un pavillon de brique du lierre ». Le champ lexical de l’emprisonnement est redondant : « impasse, toute l’année »  et se retrouve dans tout l’album : « dans votre ombre », « sous le soleil du mois d’août », « dans les cèdres, sous l’azur, dans la plaine ». Le moi est enfermé dans un huis clos : dans un novembre éternel (mois où J.F.K. fut assassiné », dans un « va-et vient » perpétuel, dans les nuits longues. Pour renforcer cet état de claustration, sont convoqués parallèlement des paysages extérieurs se composant de tout ce qui permettrait, à l’inverse, de s’esquiver: le large, l’eau, la mer du Nord, un sous-marin, l’autre rive, la Palmeraie, la mer, les vagues et ses rouleaux, la côte, un voilier, un yacht. L’existence d’un ailleurs est envisageable. Le problème est de savoir quand il sera possible d’y accéder car on remarque que le rapport au temps est fort complexe. On rencontre un âge d’or qui se rapporte au passé et à une perception du futur ; le présent ressemble quant à lui à un novembre perpétuel ou à une période de vengeance, de mensonge « comme c’est dommage, je m’en vais-je mens » (l’homophonie n’est pas anodine). Le présent n’est que déception : « les roses et les promesses/Un beau jour se fanent » et tout ceci se confirme plus loin dans La Palmeraie, à l’approche de la mort : « les roses ont fané/Les promesses oubliées ». Dans un été sur la côte, la vie est belle mais « l’amour indicible est certes périssable »…

La vue d’ensemble étant achevée, je vais m’approcher de plus près des textes, les décortiquer en m’attardant sur la métrique, les rimes, le lexique et la syntaxe et voir comment leur cohérence ou leur rupture va traiter cette tragédie.  Je commencerai par le texte d’ouverture auquel je joindrai La monotonie et L’observatoire.

 

Novembre toute l’année

se divise en deux parties de deux couplets suivis d’un refrain. Couplets et refrain comprennent tous quatre vers de 4 à 8 syllabes et riment d’après le schéma aabb pour les couplets. Déjà le schéma d’ensemble crée une langueur, une mélancolie légère que les homophonies en [ã] viennent renforcer : « pente, absente, novembre, sens, pense, blanc ».

 Ensuite, on s’aperçoit que toute activité, tout mouvement semblent rejeter comme le sous-entend l’absence de verbes d’action. Le texte est construit sur des phrases nominatives agrémentées deci delà, du présentatif « c’est », du verbe d’état « être » et de deux verbes liés de pensée « je pense », « on ressasse ». Le verbe « passer » quant à lui renforce le mouvement incessant (passer sans se pauser), monocorde et monotone du temps. Les répétitions du refrain auront les mêmes portées.

 Le refrain est bâti sur un chiasme, figure de rhétorique reposant sur un croisement de termes : « novembre toute l’année

                                           Toute l’année c’est novembre »,

 puis sur deux vers identiques :« le ciel est blanc

                                                                                            le ciel est blanc » sur quoi vient se greffer une précision à connotation négative « blanc cassé ».

 

Ce texte épuré et carré  reflète une impression de prison que le lexique développe ; ainsi, se dresse devant nous un pavillon recouvert de briques, de lierres sur quoi tombe la pluie et pour enrober le tout, un ciel chargé qui n’appelle aucune élévation.

 Couplets, refrain qu’on aurait du mal à identifier s’il ne reprenait pas le titre, se jouent sur une mélodie lente et continue qui accompagne bien la passivité humaine face au constat inéluctable que l’homme est englué dans un présent perpétuel, étayé par le présent de l’indicatif.

 On se rend compte déjà qu’il existe un accord parfait entre métrique, son, lexique et syntaxe et on ne cessera de le confirmer dans cet album et les suivants. Je ne crois pas que ceci relève d’un curieux hasard mais bien d’un travail acharné.

 Pour poursuivre cette correspondance « symétrie des vers et mélancolie », je vais fureter sous les vers de La Monotonie et de L’Observatoire.

 

 La Monotonie a deux particularités par rapport à Novembre toute l'année et L'observatoire ; la première repose sur sa musique qui est en rupture avec le thème. Nous avons ici une musique plus rythmique et vive. Je n’en dirai pas plus car je suis « béotienne » pour reprendre un terme de Les Insulaires. Je ne chercherai donc pas à dissimuler mon ignorance en matière musicale derrière des termes pompeux mais nullement maîtrisés ; vous comprendrez pourquoi je ne m’attache qu’à l’auteur et très peu au compositeur de renom ! L’autre particularité par rapport à Novembre tout l’année, et l’Observatoire, est l’absence de refrain ; on note par contre la répétition de deux vers qui résume l’ensemble et définit le titre : «c’est la monotonie/c’est juste un va-et-vient ». En même temps, vous pourriez me dire que l’absence de refrain se remarque à peine car dans les autres textes (excepté peut-être dans Les joggers sur la plage), couplets et refrains sont confondus dans le même rythme et nul « roulement de tambours » ne vient les annoncer. C’est une des caractéristiques de l’album que de raffermir le désir d’équilibre à l’intérieur d’un ensemble monocorde. (L’album est lisse, en surface, n’est-ce pas ce que recommandent les us et coutumes de la Présidence !)

 L’architecture du texte se divise en sept quatrains de six syllabes. Six couplets alternent deux mêmes rimes selon le schéma abab.

 Le quatrième couplet se distingue des autres par ses rimes différentes et les deux figures de style diamétralement opposées:

 « Le tonnerre  a tonné » et « le soleil inonde » ; la tautologie et l’oxymore (inonder signifie recouvrir d’eau (puis par extension, envahir)) servent momentanément d’électrochoc et les deux vers viennent dynamiser l’électrocardiogramme plat de l’ensemble. Mais le dernier vers  signe l’arrêt cardiaque et le couplet suivant renchaine sur « c’est la saison des pluies » et les rimes similaires. Sons et sens se complètent et au « va-et-vient » des rimes répond le va-et-vient de l’ennui.

 On relève un champ lexical de l’eau (imperméable, indigo délavé, pluies, gouttière).  L’eau est un élément qu’affectionne tout particulièrement B.Biolay et dernièrement on a entendu : « pourquoi tu pleures » et « l’eau claire des fontaines est faite de larmes…). L’eau par la dualité du symbole trouve son rôle dans la dualité de la poésie. L’eau est l’élément qui génère à la fois la vie et la mort. Dans la tradition chrétienne, Dieu est assimilé à une pluie de printemps, à une source ou à une eau claire. Elle est sagesse et spiritualité mais aussi châtiment car elle est l’eau du déluge qui punit les hommes. On détache aussi un autre registre de prédilection, celui qui se rapporte au temps : un va-et-vient, saison, décompte, le temps, du lundi au lundi, un dimanche sans fin. Ces thèmes, je les ai déjà développés auparavant et c’est la raison pour laquelle, je ne m’étendrai pas davantage.

 Enfin, on remarquera l’usage répété (9 fois) du présentatif « c’est ». Dans ce premier album, B.Biolay use régulièrement de tournures présentatives « c’est » ou « il y a » et ceci révèle une écriture qui n’est pas encore encrée dans le personnel et l’intime. Le « je » que je qualifierai de « première personne singulière » est en retrait et se dissimule ainsi derrière une conscience anonyme, une saison, l’Amérique et Rose Kennedy. On est encore loin d’une écriture profonde et secrète, significative de A l’origine, de Trash Yéyé ou de La Superbe.

 Pour l’instant, revenons à nos présentatifs. Ces derniers introduisent un point de vue : un énonciateur, grandement masqué, perçoit, pense et présente une entité.

 « C’est la monotonie » amorce le premier couplet ; « c’est » est « pseudo-anaphorique » en ce sens qu’il présuppose quelque chose qui est à l’origine de l’évaluation et qui sera dit explicitement dans le couplet suivant : «  La vie (…) C’est la monotonie ». Il est « pseudo-déictique » car il désigne un énonciateur (anonyme) et un destinataire (« toi » sous-entendu toutes oreilles attentives) et enfin « cataphorique »  en renvoyant à tout ce qui suit : « Dieu ne connaît plus les siens/L’indigo vire au gris…La gouttière fuit … », sortes de garantie du constat.

 Dans La Monotonie et L’observatoire, le sujet de conscience n’est pas authentifié mais il souffre d’empathie et une complicité se forme avec le « tu » et le  « nous ». Il est celui qui a vu et a su en premier. N’est-ce pas une des fonctions du poète que celle de révéler les profondeurs des émotions et les réalités obscures de l’univers ? D’ailleurs, l’observatoire (sans doute inspiré de l’observatoire naval des Etats-Unis) peut symboliser la demeure du poète, être énigmatique qui pressent la mort dans le temps qui passe, qui évolue « là-haut » entre ciel et terre. Cette conscience du temps « qui nous précède » est sans doute à l’origine de l’humeur mélancolique du poète. De l’observatoire, de la connaissance, il révèle un ailleurs possible « sur l’autre rive…pas un radeau qui ne dérive » mais le sombre constat initial l’emporte. Une résignation s’installe et dans La Superbe, on notera même un contentement passif : « on reste Dieu merci à la merci ».

 Pour finir avec ce texte, je noterai de nouveau ici une composition équilibrée basée sur deux fois deux couplets intercalés d’un refrain. Ils ont tous quatre vers ; les couplets reprennent une seule rime et le refrain, deux. Il règne toujours un accord entre la sobriété métrique et la limpidité phonique qui servent bien la passivité de la conscience. Dans le prochaine message: les chansons avec vue sur le bonheur! A tout de suite...


 

 

 

 

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Commentaires
M
Bravo et merci je suis époustouflée par votre analyse
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