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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
30 septembre 2011

Les pannes de Brandt...

         

          Brisons le beau miroir:

Au départ, les yeux du partenaire sont un miroir qui reflète une image positive de nous-mêmes et qui nous présente beaux et forts. Alors, il est bien légitime de vouloir que ça dure mais ce n’est pas possible. Subitement, un jour, le miroir se ternit et l’autre n’est plus ce double si parfait. "On commence alors à découvrir son vis-à-vis en dehors de la projection qu’on avait faite. Sa réalité d’être blessé transparaît et renvoie une image moins flatteuse"[1].


Pour subsister, le couple doit pousser les frontières de son microcosme. Dans Brandt Rhapsodie, la métamorphose de la passion en amour mâture se passe sans crise et sans incident. Les amoureux se déclarent « je t’aime » sans tabous, sans craintes. Ils sont unis et ont retrouvé une identité. Ils reprennent leur rythme de vie : ils travaillent tard et n’éprouvent plus le sentiment de manque qui les anesthésiait agréablement au départ. Puis ils ont un projet commun : l’enfant. Ils partagent les petites tracasseries quotidiennes  courses, cuisine… Le couple narcissique est devenu un couple qui s’entraide : ton père a refait une attaque (…) je pense à toi, je pense à lui. Jusque là, je peux dire qu’ils ont réussi à dépasser l’épreuve cruciale du couple fusionnel.

Mais subitement, tout part « en gadouille ». Il n’y a plus de « mon amour », de « chéri » qui tiennent ; le sensuel - j’embrasse ton cul - se contracte en  je t’embrasse  tout court ! Sans coup d’éclat, l’amour décline lentement. Au départ, leurs faits et gestes sont liés à l’autre et peu à peu, chacun reprend son identité  au point d’en oublier les petites attentions nécessaires pour entretenir la flamme amoureuse. Les déclarations d’amour  laissent la place à la liste de courses, aux recommandations et à une recette de cuisine.La décrépitude de la relation  se marque sur l’état psychique : l’ordonnance et les antidépresseurs authentifient le mal-être et annoncent la séparation prochaine. Le couple se sépare sans laisser derrière lui un champ de bataille. Chacun repart avec sa part de responsabilité.

            Le miroir incassable :

D’un point de vue psychanalytique : "Idéalement, la trajectoire de l’amour va du « je t’aime et je ne peux pas me passer de toi parce que en réalité je ne m’aime pas et que j’ai besoin que tu me confirmes ma valeur » à « j’aime que tu sois là, mon amour, j’aime que tu existes et je n’ai plus besoin que tu me confirmes sans cesse ma propre existence."[2] Dans Tout ça me tourmente, Jaloux de tout, Tu es mon amour, les couples n’arrivent pas à s’épanouir et ne se respectent pas. Dans Jaloux de tout, l’homme sombre dans une relation de dépendance ; la femme devient l’objet de sa propre reconnaissance ; il se sous-estime en affirmant qu'elle est trop belle pour lui. Le rapport amoureux est fondé sur la jalousie et non le partage : qu’en plus de tout gâcher, j’ai donné peu. Il lui manque une bonne part de confiance ("...J’avais en moi tant de rouille tenace/ Qui me rongeait, à dents rapaces, / La confiance…."[3] ).Comme le sujet de Dans ta bouche, il s’est perdu dans sa partenaire. Dans Tu es mon amour ou Dans ta bouche, l’homme sent sa puissance en danger et devient menaçant : Si d’aventure tu te joues de moi/ Change les serrures et prends garde à toi ou Quoique tu fasses/ mon cœur je te piste à la trace/Le bonheur me pisse à la face. Je tiens à rassurer les âmes pures : si vous pensez à l’ondinisme en écoutant cette chanson, c’est normal. C’est le double effet Biolay ! Le coquin envoie des messages subliminaux dans ses textes. Et voilà comment La garçonnière se transforme ainsi en grille de mots croisés du Reader’s « Eros » Digest : « allonger-vous » en 12 lettres, « mettez-vous à genoux » en 9 et « penchez-vous » en 8 ou 7 lettres, je vous laisse le choix. Tout va bien ; si vos fantasmes sont titillés, vous ne devenez pas pervers pour autant, « on est tous passé par là » (fredonne Françoise Hardy). La récréation se termine, finissez votre cigarette et je continue. Le désir de domination devient maladif : Tu es mon amour ou tu ne l’es pas/ Si oui, tu dois faire tout, oui  tout pour moi… Il ressemble à un écolier impatient qui a un besoin urgent de se sentir aimé et qui veut entendre un « oui » pour ne plus s’inquiéter. Le désir se voile de menaces. Toutes ces chansons reposent sur une frénésie de mots, d’interrogations qui sont les révélateurs de la folie de l’homme, aliéné, gangréné par la jalousie. Mais attention, ce ne sont pas des cas cliniques désespérés car ils sont conscients de ce mal-être. « Je savais bien » est redondant dans Jaloux de tout. Il affirme : « J’aurais dû m’épancher » ; il a juste peur de se révéler sous un mauvais jour. Il refuse toute communication et préfère dissimuler sa jalousie et ses craintes dans les silences. Il évince les questions par des banalités alors que la femme se confie à lui. Avouer la vérité reviendrait pour lui à divulguer une infériorité et sa virilité se trouverait entamée. Il bloque volontairement la communication qui aurait pu les faire évoluer. Ses réponses lui donnent l’illusion de conserver une supériorité qu’il a perdue en particulier à cause de son manque d’assurance.  "En apprenant à s’apprécier, un être s’affranchit de sa dépendance à l’autre et peut relâcher son contrôle sur lui. Mais le passage d’une volonté de contrôle absolu d’autrui, par crainte de perdre l’amour qu’il nous offre, à un point de vue plus détaché où je peux permettre à l’autre de vivre librement engage l’individu dans un véritable combat intérieur. En ce sens l’amour fait trembler l’égocentrisme de façon insoutenable. Cet égocentrisme se vêt(…) de jalousie et d’intolérance. (….)La fierté se trouve attaquée de toutes parts par l’amour, comme un diable jeté dans l’eau bénite. (….) Il luttera contre l’amour jusqu’à ce que la relation soit en ruine et se plaindra ensuite amèrement de son infortune, ignorant le fait qu’il l’a lui-même provoquée."[4] A sa décharge, l’homme dans  Jaloux de tout  est conscient de cette lutte acharnée qu’il mène pour mettre à mal leur relation. Quoi qu’il en soit les deux tourtereaux ne peuvent pas se rencontrer dans la relation car ils vivent leur sentiment en décalage. Les hommes sont dominés par des peurs irrationnelles, originelles et incontrôlables. Ils n’arrivent pas à s’abandonner sereinement. Au lieu de savourer leurs sentiments dans un climat lénifiant, ils sont assaillis intérieurement par un cataclysme, un tsunami de peurs : de la séparation, de l’infidélité, de ne pas être aimés. Ils redoutent d’être repoussés ou d’être happés. Quand un être souffre, il exige encore plus de l’autre. Il existe une autre attitude de défensive contre l’amour : l’isolement ou l’esquive qui conduit à la solitude à deux. C’est le cas dans Tout ça me tourmente (la superbe).

 

           Un miroir sans tain :

Parfois, l’homme n’arrive pas à se déposséder de sa « masculinité patriarcale » qui se fonde sur  "la répression de la sensibilité et de la sensualité  et sur le blocage de l’expression spontanée des sentiments"[5]. Dans la chanson, l’homme confesse : Tout ça me tourmente/ Tout ça me tourmente/ Tout ça me tourmente un peu/ La douleur m’éventre mais il refuse de se retrouver face à lui-même et se jette dans la distraction : mais je ris dès que je peux(…) / Mais dès vingt heures trente/ Oui dès vingt heures trente/ Je n’ai pas de cœur je n’ai que ma queue. Il a dépassé depuis longtemps le stade narcissique et ne recherche plus l’acclamation  de son moi dans le regard de la femme. Le miroir est noir et sa vision de l’amour est devenue stérile. Une cataracte a épaissi le regard qu’il porte sur elle, « j’ai même pas vu », « j’avais pas vu » sont répétés sept  fois! La femme, quant à elle, attendait une attention de l’homme, attention qui n’est pas venue. Elle a renoncé à communiquer avec lui ; son physique évoquait son mal-être car il y a eu une somatisation du corps qui s’est mis à parler tandis que l’esprit en était incapable. La dépression s’est installée et a précipité son départ. Sans doute attendait-il sagement que la rupture vienne d’elle ? C’est une façon d’échapper à soi, aux difficultés du couple. Tout ceci donne l’impression que l’amour est une chimère. Il semble avoir connu son âge d’or dans le passé glorieux des années trente : la vie est belle(…) Un été sur la côte/ Toujours l’un près de l’autre/ Un air des années trente[6], c’est comme au bon vieux temps/ Quand c’était mieux avant[7].  Un été sur la côte  est un instant de bonheur isolé du réel. Il est exceptionnel, mémorable. Cette chanson est comme une photographie ; elle éternise un moment que l’on pourrait oublier. Cette photo aurait pu être prise par Doisneau ou Hamilton… Cet  amour-là semble avoir échappé au « fatum », force mystérieuse qui a entraîné les autres relations vers la ruine. Est-elle si mystérieuse cette puissance fatale ? Nous le verrons la prochaine fois. A bientôt...

 

 



[1] Guy Corneau, N’y a-t-il pas d’amour heureux, p.251.

[2]Guy Corneau, N’y a-t-il pas d’amour heureux, p.252.

 [3] Emile Verhaeren, Chaque jour où je pense à ta bonté, Les heures claires.

[4] Guy Corneau, N’y a-t-il pas d’amour heureux, p.252.

 [5] Guy Corneau, N’y a-t-il pas d’amour heureux, p.28.

 [6] B.B., Un été sur la côte, Rose Kennedy.

 [7] B.B., La mélodie du bonheur, Rose Kennedy.

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