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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
13 août 2011

Négatif...

 

Du dernier décan

Je suis natif

Je joue de l'oliphant

Ne suis qu'un primitif

...

 

Je terminerai la semaine en achevant le thème de l'artiste dans la société.

 

Un être tourmenté:

 

 

La poésie, c’est le chant intérieur (…). Je passe quelques heures assez douces à épancher sur le papier, dans ces mètres qui marquent la cadence et le mouvement de l’âme, les sentiments, les idées, les souvenirs, les tristesses, les impressions dont je suis plein...[1]

 Les poètes ou les artistes sont ceux qui souffrent plus profondément que les autres. Souvent en poésie est adoptée l’image du sacrifice du poète face à l’attente vampirique de son public : Hugo l’avait soulignée par ces termes : le poète a saigné le sang qui sort du drame[2], Baudelaire par : il me semble parfois que mon sang coule à flots[3], B.Biolay  par : (je) me suis vidé de mon sang/ trop émotif[4].

 Négatif me rappelle les monologues des tragédies classiques ou des drames romantiques dans lesquels pleuraient les déplorations déchirantes des héros («mais soit dit en passant /d’un ton plaintif » sonne comme une indication scénique). Comme dans la tragédie classique, un destin funeste plane sur le sujet. Il est accablé par les astres : Du dernier décan/ je suis natif. Sa nature empreinte de négation trouve une justification dans l’astrologie. Il revêt les caractéristiques du héros romantique. Il porte en lui une prédisposition à être « négatif » et « turbulent ». Il est « natif » et ses traits déterminants sont innés. En chaque homme existe une part d’irrationalité qui fait de lui une proie du destin. Il est condamné et sa fatalité perdurera : Mais mort ou vif/ je reste négatif/ puisque tout fout le camp. Cette contestation, souvent reprise et prononcée jusqu’à l’infini, permet de bien ancrer dans notre sensibilité cette force du destin transformant l’individu en victime au sein d’un monde qui ne le comprend pas et le rejette. Il est habité par la révolte et veut sauvegarder son individualité face à une société qui exige le contraire. Ce caractère « négatif » le met en marge des autres mais lui confirme un statut exceptionnel comme si la douleur était réservée non au commun des mortels mais aux êtres supérieurs. Il est tel un martyr déchiré entre ses idéaux et la vie en société. Sa distinction, il la doit aussi à son langage. Il se compare à un enfant et ce n’est pas innocent. L’enfant incarne celui qui ne craint pas les mots et s’amuse avec eux en inventant des combinaisons nouvelles.  Je suis un enfant si craintif : il a le pouvoir d’émerveillement de l’enfant mais aussi sa fragilité. Pour Jacques Cartier, navigateur sous François 1er, il existait une âme aussi pure que celle des enfants : le sauvage.  « Je me baignerai nu »,  « ne suis qu’un primitif »,  « ne suis-je qu’un sauvage qu’on réfrène », la nudité est celle  sans pudeur du « bon sauvage » ; le sauvage et l’enfant se définissent en opposition au normal et aux adultes dits civilisés. Ils renvoient à la définition du « mystique » de Claude Lévi-Strauss, c’est-à-dire à un être envahi  par une altérité débordante[5]. Il est cet être sans domicile qui vit en symbiose avec la nature et l’eau. Il n’a pas un langage institutionnalisé et il est incompris ; il n’a pas de contact avec les autres ; il est indépendant, ne cherche pas à nuire à la différence de l’homme social : Face aux vérités/ qu’on m’assène/ comme des coups de bambou/ ou d’ébène. Mais il n’a pas réussi à charmer les hommes avec son olifan comme Orphée qui avait séduit les dieux en jouant de sa cithare. Le terme négatif désigne une marque de refus systématique et un pessimisme passif.  Il est insoumis et allongé, donc accablé  par deux divisions psychologiques : la révolte et l’apathie. Et deux forces qui coexistent dans un seul individu ne peuvent que marquer une difficulté de se comprendre lui-même.

Négatif demeure encore ma chanson favorite. Je n'emploie pas tout mon temps libre à analyser chaque mot, figure de style et  jet d’encre de B.Biolay. Je ne suis pas une adulatrice fanatique mais j’avoue que ses textes m’interpellent vivement. Les sujets qu’il aborde, aussi intimes soient-ils, ont une résonnance dans l’universel, non ? Je ne cherche pas à étudier la « lyre poitrinaire » de Mr Biolay et à enquêter sur la véritable origine de certaines chansons, si origine, il y a (en épluchant, toutes les interviews, les articles de presse sérieuse…) Moi, je veux juste montrer le pouvoir de cet auteur moderne : le  poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré [6]. Je n’impose pas mes interprétations ; je tente simplement de souligner et de déchiffrer un infime caractère insolite de sa création artistique. Tout ceci ne m’empêche pas d’écouter tout simplement ses albums sans analyses ou échappées fantaisistes…

Bref, je crois bien qu’il a ébranlé mes repères littéraires et poétiques ; pas de cataclysme mais un sérieux glissement de terrain !

A bientôt pour aborder mon dernier thème: ANIMUS et ANIMA: à la conquête de l'amour!

Inutile de vous avertir que dans l'univers poétique de B.Biolay, les relations amoureuses sont fort tumultueuses; elles sont animées par des personnages qui ne cessent de se fuir et se suivre...Je m'aventurerai à approcher certains "spécimens" de près...



[1] Lamartine, Préface des Recueillements poétiques, 1839.

[2]Victor Hugo, Le poème éploré se lamente, Les Contemplations.

[3] Charles Baudelaire, La fontaine de sang, Les fleurs du mal.

[4] B.B., Négatif, Négatif.

[5]C. Lévi-Strauss, les Structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1947, p.98.113.

[6] Extrait de Ralentir travaux de René CHAR, Paul ELUARD, André BRETON, 1930.

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Quelque part entre Rose Kennedy et La Superbe de Benjamin Biolay
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